Pour Azdine Benyoucef, la danse est un vecteur puissant pour transmettre sa vision du monde et une arme d’apaisement des tensions et de création de liens entre groupes sociaux et entre générations.
Pour Azdine Benyoucef, jeune chorégraphe de breakdance originaire des quartiers populaires de Lyon, la danse ne se limite pas à une performance artistique, c’est un vecteur puissant pour transmettre sa vision du monde. C’est aussi une arme d’apaisement des tensions et de création de liens entre groupes sociaux et entre générations. En cela, il renoue avec l’essence du hip-hop, cette culture urbaine née dans les ghettos noirs américains, qui s’articule autour de trois formes artistiques : musique, danse et arts plastiques. Aux âmes bien nées, la sagesse n’attendant pas le nombre des années, il sait qu’on ne change pas le monde d’un coup de baguette magique, qu’il faut allier conviction, patience et persévérance pour avancer pas à pas.
La belle aventure d’Azdine Benyoucef commence par la passion du karaté qui forge sa personnalité : discipline, courage, droiture, humilité et respect de l’autre. Elle se poursuit par la découverte du breakdance, un enchaînement de figures acrobatiques au sol, qui bouleverse sa vie. Au début, c’est juste un jeu, une manière de s’échapper de la cité et de retrouver des potes qui viennent de tous les continents. Il danse dans les cours, dans les rues, partout, tout le temps. Au fil des figures, de plus en plus complexes, il se forge une écriture corporelle personnelle.
L’histoire aurait pu en rester là, sauf que bientôt danser ne suffit plus. Vient le besoin de partager ses révoltes face à un monde qui ne tourne pas toujours très rond et qui permet rarement aux gosses des quartiers populaires de se projeter et de rêver.
Écoles, prisons, musées, quartiers à l’abandon de la puissance publique, le breaker investit tous les lieux. Il met un point d’honneur à transmettre l’histoire du hip-hop afin de parler du présent de manière audible à des gamins qui se sentent exclus des canaux traditionnels de la culture. Tout en enseignant les techniques de base du breakdance, il y apporte une touche très personnelle à laquelle adhèrent des jeunes toujours plus nombreux.
En 2006, avec Meriem Bouras, il fonde la bien nommée Compagnie du Second souffle. Les spectacles se succèdent, se nourrissent d’influences diverses : danses africaines, contemporaines, bûto. Il relit à sa manière des textes aussi populaires que le Petit Prince de Saint-Exupéry et s’empare de sujets qui ont marqué l’histoire de l’humanité comme celle des territoires. De Désert, qui revisite la tragédie d’Hiroshima, à La marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 , en passant par Sur les traces de Martin Luther King, par La rose des sables, qui alerte les jeunes sur l’importance de l’écologie ou encore Lettre à Nour, qui interroge l’engouement de certains jeunes pour le Djihad, ses spectacles sont porteurs de messages politiques puissants qui se déclinent autour des notions d’ouverture, de métissage, de citoyenneté, de respect, de non-violence, de solidarité et de dialogue.
C’est qu’il y a urgence. Dans les quartiers, un nombre croissant de jeunes sont victimes ou à l’origine de violences, craignent de ne pas avoir d’avenir et s’identifient souvent aux dealers qui paradent au volant de belles voitures. Leur montrer que d’autres voies sont possibles, proposer des modèles positifs, les aider à concrétiser leurs rêves, tel est l’un des axes de l’engagement d’Azdine Benyoucef, qui assume depuis peu la fonction de référent culturel à la mairie de Givors. Ce qui implique d’être présent sur le terrain, de se confronter au quotidien, de se battre pour que les cultures urbaines ne soient pas cantonnées à la marge ou de permettre aux danseurs de vivre décemment de leur art, notamment en acquérant le statut de professionnel.
Un combat en appelant un autre, c’est encore à travers l’apprentissage aussi rigoureux que ludique et joyeux du breakdance que l’infatigable directeur artistique entend sensibiliser les jeunes des quartiers à la nécessité et aux bienfaits d’une alimentation saine. C’est d’ailleurs sur ce thème qu’il interviendra aux Dialogues en humanité samedi 3 juillet.
Également au programme de cette édition des Dialogues un spectacle de danse fruit d’une collaboration avec une enseignante qui poursuit un passionnant travail de mémoire avec ses élèves de 11-12 ans sur l’histoire de Vénissieux ainsi que sur celles des migrations, de la colonisation et des luttes ouvrières depuis la première guerre mondiale.
Muriel Scibilia