2016 L’art peut-il tout faire?

De la liberté de l’art et du retour du religieux
27 mai 2016 au Château de Genshagen

Programme

Une traduction simultanée est assurée pour le vendredi 27 mai (français, allemand, anglais).
L’«académie sous les arbres» est animée par:
Jürgen König, correspondant en France pour Deutschlandradio, Paris

Vendredi 27 mai 2016

10h00 Ouverture
Christel Hartmann-Fritsch, directrice exécutive, Fondation Genshagen Noémie Kaufman, chargée de projets, Fondation Genshagen
10h10 Introduction
Noémie Kaufman, chargée de projets, Fondation Genshagen Mots de bienvenue
10h20 Mots de bienvenue
Geneviève Ancel, membre fondateur des "Dialogues en humanité", Lyon
10h30 L’art et la censure en France
Discours introductif
Agnès Tricoire, Observatoire de la liberté de la création, Paris
11h30 Faut-il renégocier le vivre ensemble dans les sociétés européennes?
Entretien entre Yael Ronen, metteur en scène et auteure, Berlin (pressentie), Kacem El Ghazzali, blogueur et représentant international auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Zurich et Père Christian Delorme, (Caluire-et-Cuire) Lyon (pressenti)

14h00 Arbres à palabres
Deux forums de discussion de trois sessions chacun ont lieu simultanément sous les arbres.
Après chaque session, il est possible de changer d’arbre.

Arbre à palabres 1
Animé par:
Dr. Adama Ulrich, journaliste en free-lance, Berlin (pressentie)

14h00 Allemagne
Un opéra pendant le Ramadan
Cornelia Lanz, chanteuse d’opéra, Stuttgart

15h00 Pologne
Golgota Picnic – une croisade contre l’art?
Michal Merczynski, directeur du Malta-festival, Poznań (pressenti) France

16h00 Europe/Grèce
Y a-t'il une réponse juridique?
Eleni Polymenopoulou, maître de conférences en droit, Université Brunel de Londres/ Grenoble/ Athènes
Arbre à palabres 2
animé par:
Susanne Stemmler, DKJS, Berlin


14h00 Grande-Bretagne
Le cas Behzti: où en est-on dix ans plus tard?
Gurpreet Kaur Bhatti, auteure, Watford

15h00 France
Les couples imaginaires et Les couples de la République
du photographe Olivier Ciappa, Dimitri Hu, Vice-Président de l’association RegARTS, associé d’Olivier Ciappa, Bordeaux

16h00 Danemark
De la rap-académie à la poésie
Yahya Hassan, poète, Copenhague (pressenti)

 

17h30 L’évolution de la caricature dans la presse française
Rotraut von Kulessa, Université d’Augsbourg, Faculté de philologie et d’histoire, Augsbourg
18h00 Exposition
des dessins réalisés au cours de l’"académie sous les arbres" par l’artiste Michel Granger, Paris (pressenti)
18h30 Bilan de l’"académie sous les arbres"
Thomas Krüger, Président, Agence fédérale pour l’éducation civique (bpb), Bonn
19h00 Dîner
20h00 Inspiration artistique
Soirée musicale et poétique réalisée par l’association Zuflucht Kultur
Sous la direction artistique de Cornelia Lanz

Concept

Dans le cadre de la série de manifestations intitulée "Académie sous les arbres", la Fondation Genshagen s’intéressera en mai 2016 à la liberté de l’art dans un contexte de post-sécularisation.
En janvier 2015 à Paris, des journalistes et caricaturistes ont été assassinés par deux islamistes voulant "venger le Prophète". L’attentat perpétré contre le journal français Charlie Hebdo a ébranlé le monde.

A la suite de ces évènements, on a vu s’affronter deux discours sociétaux:
d’une part, les partisans du slogan "Je suis Charlie", qui appelaient avec véhémence à défendre la liberté de la presse, la liberté d’expression et la liberté de l’art contre l’obscurantisme religieux ;
et d’autre part, des personnes de tous les horizons nationaux, religieux et culturels, unies autour d’une même revendication: observer un plus grand respect pour la/les religion(s).

Face à cette collision de valeurs, de nombreuses questions sont restées sans réponse, mais une constatation s’impose clairement:
dans nos sociétés européennes, construites en partie sur la sécularisation, le vivre-ensemble doit faire l’objet d’une renégociation. À l’occasion de l’édition 2016 de l’"Académie sous les arbres" et dans un contexte franco-germano-européen, la Fondation Genshagen se posera en particulier la question de savoir ce que l’art a le droit de faire, si l’on doit lui imposer des limites et, si oui, qui doit les déterminer.

La toile de fond:
L’art dispose de la faculté de mettre en lumière un éventail de possibilités. Il est ouvert à divers points de vue, interprétations, sensations et appropriations. C’est là que repose toute sa force.
Toutefois, cela ne peut se produire qu’à la condition d’un art libre dont l’imagination et les capacités créatrices ne sont contraintes par aucune barrière.
Cette liberté et cette disposition à exprimer des visions possibles sont considérées dans de nombreux pays du monde comme une menace pour le pouvoir politique. L’anéantissement systématique de l’art et de la culture, que nous endurons par exemple actuellement à travers les méfaits de l’EI en Syrie, n’est pourtant pas une nouveauté. Depuis toujours les régimes dictatoriaux se rendent maîtres de l’art et de la culture, ou les détruisent là où ils ne peuvent les contrôler.
A l’inverse de la France qui jusqu’à présent ne l’évoque pas de manière explicite dans sa Constitution, en Allemagne la liberté artistique est ancrée dans la Loi Fondamentale (Art. 5, III Loi Fondamentale).
La Convention européenne des droits de l’Homme ne mentionne pas non plus formellement la liberté de l’art, bien qu’elle protège cette-dernière à travers l’article 10 concernant la liberté d’expression. La liberté artistique est donc aussi bien en France qu’au niveau européen inclue dans la liberté d’expression. La liberté artistique est en Allemagne particulièrement protégée, étant donné qu’on y a douloureusement appris ce que pouvait signifier la censure. Ainsi, les Allemands ont pris conscience de l’immense valeur de cette liberté et elle constitue un élément essentiel de leur démocratie: l’État a pour devoir de la sauvegarder, et la société civile dispose du droit de l’exiger.
Le droit à la libre expression artistique, la liberté de parler publiquement à tout instant et sans risque, ainsi que le droit à la libre communication des pensées et des opinions – c’est-à-dire la liberté artistique, la liberté de parole et la liberté d’expression – sont des libertés intimement reliées les unes aux autres. Dans un pays où l’art n’est pas libre, ne règne pas non plus la liberté d’expression.
Là où les artistes n’ont pas le droit de s’exprimer librement, les journalistes, dont l’opinion peut être formulée plus clairement que le langage de l’art ne le permet, n’ont a fortiori pas ce droit non plus.
Ainsi ces libertés étroitement reliées doivent être considérées ensemble. L’art libre ne doit cependant pas être un art politique. L’art ne doit pas nécessairement véhiculer de message politique, mais il doit avoir le droit d’en porter un. Pour autant, la question de l’influence de la politique sur l’art se pose lorsque l’art est soutenu par l’État. L’art qui traite de thèmes n’étant pas actuellement politiquement pertinents voit-il ses chances d’obtenir un soutien étatique diminuées? L’État exerce-t’il une influence sur le programme des institutions culturelles au travers des subventions, et ne se tapit pas ici déjà une forme de censure?
Là où l’on pensait que la pertinence de la religion avait fortement décliné avec le mode de vie moderne, on parle aujourd’hui de la renaissance ou du retour des religions. Le poids croissant accordé à la religion ne se limite pas seulement au cadre privé: la religion est aussi, de plus en plus, un thème de débat public, et les conflits religieux sont gérés dans la sphère publique. Même si dans ce cadre l’islam est devenu l’objet de toutes les attentions, le débat vaut aussi la peine d’être mené pour d’autres religions, et notamment pour le catholicisme, dont les représentants religieux ont pu également s’opposer à différentes productions artistiques qui constituent pour eux un blasphème.
Le processus de séparation des Églises et de l’État a eu lieu depuis longtemps, de différentes manières et à différents niveaux, dans l’ensemble des pays occidentaux européens. A travers cette bataille, l’art s’est aussi émancipé des croyances. Or, deux droits fondamentaux se heurtent à ce sujet en Allemagne. Il est écrit dans le code pénal allemand que le blasphème est répréhensible s’il trouble la "paix publique" (art. 166 du code pénal). Le blasphème est-il une menace pour l’ordre public, et l’art peut-il donc se montrer blasphématoire? La liberté d’opinion et la liberté de création entrent toujours plus fréquemment en tension avec un autre droit fondamental, celui de la liberté religieuse. C’est une collision de droits fondamentaux qui se joue là, et à laquelle aucune réponse (qu’elle soit juridique ou autre) n’a pu encore être apportée. On peut également observer ce conflit en France. Le concept souvent mal interprété de "laïcité", qui assure la séparation de l’État et des Églises, et donc la neutralité de l’État face à toutes les communautés de croyances, ne conduit pas à une résolution du problème. En France également, la liberté de l’art (assurée par la liberté d’expression) et la liberté de culte garantie elle aussi par l’État, s’affrontent pareillement. Cette tension n’est pas non plus résorbée au niveau européen, puisque la liberté d’expression peut dans certains cas, au travers de l’article 10, II de la Convention européenne des droits de l’Homme, être limitée.

http://www.granger-michel.com/fondation-genshagen-brandebourg/

Dans les sociétés sécularisées européennes subsistent en conséquence certaines questions:
jusqu’où la liberté artistique peut-elle aller? Comment peut-elle être protégée? Mais aussi, quelles devraient en être les limites, afin de ne pas blesser les sentiments religieux?

Les religions semblent gagner toujours plus d’importance en Europe, et leur seuil de tolérance est particulièrement faible. Les sociétés européennes doivent-elles pour autant tolérer que les menaces de mort et les meurtres soient le prix à payer pour les artistes qui défendent leur liberté de création? La vexation et l’atteinte aux sentiments religieux peuvent-elles être invoquées pour justifier la terreur?
La violence laisse des traces. Des études indiquent que nombreux semblent être les artistes en Europe à s’imposer une autocensure par peur d’offenser les sentiments religieux. Certes, la liberté peut également signifier de s’abstenir de faire certaines choses. Se refuser à se livrer à chaque provocation, simplement car celle-ci serait autorisée, mais plutôt tenir compte des différentes sensibilités. Mais nombreux sont les artistes à s’inquiéter de ne plus pouvoir s’exprimer librement. La liberté va, il est vrai, de pair avec la responsabilité: "la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres", dit-on. Comment peut-on composer avec cela? L’auto-restriction et le contrôle de soi au nom du religieusement et du politiquement correct, tracent-ils la bonne voie? N’est-ce-pas destructeur pour la portée et la force de l’art, que celui-ci s’autolimite? La liberté artistique n’est-t-elle pas déjà sapée par les questionnements sur ce que l’art peut faire, dans quelle mesure il peut se montrer politique ou provocant? Qui doit déterminer où sont ses limites?
Dans les sociétés occidentales européennes, nous avons péniblement appris au cours des derniers siècles à supporter les ruptures de tabous. Or, la mondialisation, les nouvelles technologies et possibilités médiatiques transportent les ruptures de tabous perpétrées ici dans des régions et des cultures qui disposent de moins d’expérience dans ce domaine. Que les productions artistiques élaborées ici ne soient plus exclusivement perçues que par un public local rend la question des frontières de la liberté artistique d’autant plus significative. L’interprétation occidentale de la liberté artistique peut-elle prétendre à une validité universelle? Devons-nous tolérer d’autres valeurs, nous adapter ou nous soumettre à elles, ou convient-il plutôt de défendre nos valeurs et nos libertés? Et que signifient donc les termes "nous", "nos" et "les autres" dans les sociétés européennes plurielles? N’assiste-t-on pas depuis longtemps à des déchirements au sein même des pays européens? Existe-il encore des valeurs communes, européennes, qui soient reconnues de tous? Les sociétés européennes fournissent-elles des réponses suffisantes aux défis qui résultent de la diversité – et également de la diversité religieuse?
Ces questions seront discutées dans le cadre de "l’Académie sous les arbres", avec des invités venus de France, d’Allemagne et d’autres pays européens.

Le format:
Tous les deux ans, la Fondation Genshagen organise une "Académie sous les arbres". Au cours de cette série de manifestations, des grands sujets de société, identifiés comme représentant des défis particuliers pour notre époque, sont abordés. En 2010, le thème de "l’Académie sous les arbres" fut la lutte contre la pauvreté, et 2012, celui de la question de l’intégration. En 2014, la Fondation Genshagen s’est consacrée à la minorité Roms en Europe. Ces thèmes sont particulièrement pertinents dans la plupart des sociétés européennes. La Fondation Genshagen aborde cependant le thème choisi sous un angle différent, se posant la question de définir le rôle que l’art et la culture peuvent y jouer, et s’interrogeant sur la contribution qu’ils peuvent apporter dans la recherche de nouvelles solutions.

L’"Académie sous les arbres" est un format particulier de la Fondation Genshagen qui s’inscrit dans le cadre des "Dialogues en humanité", organisés depuis plus de dix ans par la ville de Lyon. Depuis lors, les "Dialogues en humanité" ont vu naître d’autres éditions dans de nombreuses parties du monde, entre autres à Addis Abeba en Éthiopie, à Bangalore en Inde, à Fès au Maroc, au Salvador (Bahia) au Brésil, et dans bien d’autres lieux. Les "Dialogues en humanité" ont pour but de stimuler un discours ouvert sur des thèmes sociétaux pertinents. Ce faisant, le cadre traditionnel de la conférence y est dissous et toutes les personnes présentes sont encouragées à participer à la discussion sous les arbres et à partager leurs expériences et connaissances. Le caractère ouvert de la manifestation est propice à l’intensification des échanges. Dans ce but, les règles suivantes seront respectées au cours du débat: "liberté de discours", "attention bienveillante", "écoute et respect", "égalité de tous dans le discours transnational". La mise en œuvre de ces Dialogues se fait sous les arbres, à Lyon comme à l’échelle mondiale. La Fondation Genshagen a adapté ce format pour elle-même, et les discussions se déroulent ici aussi sous les arbres du parc du Château.